Ne parlons pas de culture pour l’instant. La culture est une notion abstraite difficile à mesurer et sur laquelle nous pouvons difficilement agir.
Parlons plutôt des défis importants auxquels font face les entreprises – les réalités concrètes que nous pouvons mesurer, comme la numérisation. Auparavant, qui disait numérisation disait technologie, jusqu’à ce que nous découvrions que nous ne pouvions pas maîtriser ce processus sans posséder une mentalité numérique appropriée. Il y a aussi la croissance. Que dire à son sujet? Toutes les organisations veulent croître – la croissance est une réalité concrète, et nous pouvons la mesurer. Tout le monde sait ce qu’est la croissance, mais peu de gens savent comment y parvenir. Il n’existe aucune solution miracle, et nous pouvons être certains que cela n’arrivera pas sans l’aide d’un état d’esprit tourné vers la croissance. Qu’en est-il de l’innovation? Dans de nombreuses organisations, le cloisonnement de la pensée bloque toute innovation et représente par conséquent un obstacle à franchir. Et l’orientation client? S’il est une chose à laquelle les organisations aspirent, c’est une approche résolument tournée vers le client. Mais l’orientation client n’est-elle pas avant tout un état d’esprit?
Si oui, ne parlons-nous pas alors de culture? Bien sûr que si. Peu importe le défi transformationnel auquel fait face une organisation, nous pouvons le lier à la culture.
La culture d’une organisation constitue son système d’exploitation. Durant l’ère industrielle, le système d’exploitation dominant était « le commandement et le contrôle ». Aujourd’hui, à l’ère numérique, il nous faut remplacer ce système par un autre fondé sur la confiance et la responsabilité. Le nouveau système d’exploitation n’est pas parfait et ne le deviendra jamais. Nous devons néanmoins continuer à travailler dessus afin d’en éliminer les bogues.
Si un événement nous a fait prendre conscience du besoin de changer, c’est la pandémie. Les employés qui travaillent à la maison ne font l’objet d’aucun contrôle – les employeurs doivent compter sur eux pour agir de façon responsable et accomplir leur travail. Et, comme nous le savons tous, cela fonctionne. L’effet négatif de la pandémie se fait sentir ailleurs : sur notre sentiment d’appartenance, notre identité et notre état d’esprit.
Ils vont de soi jusqu’au jour où ils disparaissent. Assis devant notre ordinateur portable dans notre bureau à domicile, nous ressentons tous un manque. Nombre d’organisations se demandent maintenant comment préserver leur culture dans ce monde de travail hybride au moment où nous poursuivons nos efforts pour vaincre la COVID-19. La mauvaise nouvelle est que cela ne sera jamais plus comme avant. Mais il y a aussi une bonne nouvelle : le moment est venu d’opérer un réel changement qui nous rendra plus forts que jamais.
Des études récentes de Mercer montrent une augmentation de la pertinence de la culture au travail. Un pourcentage de 42 % des répondants estiment que « la manière dont nous créons la culture » représente le plus gros changement causé par la pandémie concernant l’expérience employé1. Près des trois quarts (74 %) des répondants sont d’accord aussi pour dire que la culture est un facteur crucial dans la mise en œuvre d’un mode de travail flexible à grande échelle2. Les entreprises perçoivent d’ailleurs de plus en plus la culture comme un atout stratégique. Parmi les organisations matures, 68 % considèrent l’amélioration de la culture comme indispensable pour accroître les résultats d’affaires et fidéliser les talents. Déjà, 60 % des services RH ont reçu comme mandat de changer la culture au sein de leur entreprise3.
En somme, le message se répand. Des plans sont proposés. Tout cela suscite de grandes attentes. Mais que faut-il changer exactement sur le plan culturel?
Définition de la culture
« La culture correspond à la façon de faire au sein de l’entreprise » – cette phrase couramment utilisée résume bien la nature de la culture. Selon une autre définition, la culture est le « ciment » qui consolide une organisation. Elle en détermine aussi tous les aspects :
Tout comportement observé ordinairement au sein d’une organisation témoigne de sa culture.
Nous n’avons pas trouvé de meilleur modèle de culture organisationnelle que celui d’Edgar Schein. Schein définit cette culture comme « un ensemble de postulats de base – inventés, découverts ou développés par un groupe cherchant à faire face à des problèmes d’adaptation externe ou d’intégration interne – qui ont suffisamment été vérifiés pour être considérés comme valides et ainsi enseignés aux nouveaux employés comme des façons correctes de penser ou de se comporter face à des problèmes. »4 Schein décrit la culture comme constituée de plusieurs niveaux. Au niveau le plus fondamental, il situe les hypothèses organisationnelles de base qui ne sont jamais remises en cause ni débattues. Ces valeurs implicites partagées forgent l’état d’esprit d’entreprise. Elles déterminent ce que l’organisation considère comme « bien ». Les manifestations visibles de la culture comprennent, d’une part, les artéfacts organisationnels (par exemple, les rituels ou les processus visibles) et, d’autre part, les comportements concrets et visibles qui définissent la collaboration au quotidien.
D’aucuns pensent que changer une culture est impossible. Selon eux, la culture est un résultat et non une équation avec des paramètres que l’on peut ajuster. Cependant, nous croyons – et nous l’avons démontré – que la culture fait partie d’une équation, et les objectifs d’entreprise en constituent les résultats. Par conséquent, oui, nous pouvons changer notre culture. Toutefois, cela exige de critiquer ouvertement les paradigmes dominants qui doivent évoluer. Certains d’entre eux nous sont familiers depuis un bon moment maintenant. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure : nous savons que cela prend plus que la communication pour nous détacher de ce que nous mettons en pratique depuis des décennies.
Ne nous y trompons pas : la transformation culturelle n’est pas une entreprise facile. Un changement culturel est un processus qui se déroule dans le temps et nécessite des ressources considérables. D’abord et avant tout, l’équipe de direction doit déployer la plus grande détermination pour générer un réel changement. Nous avons trop souvent vu des campagnes portant sur la raison d’être, les valeurs d’entreprise ou les principes de direction échouer, car elles se limitaient à des efforts de marketing. Elles ont peut-être démarré en force, mais se sont ensuite essoufflées rapidement, ne laissant d’ailleurs chez le personnel aucun souvenir de leur contenu ou de leur objectif. En fait, dans de nombreux cas, ne reste plus parmi les employés qu’un vague scepticisme, qui se manifeste du reste à l’annonce d’un autre exercice semblable encore à venir.
L’utilisation des leviers du modèle de Schein permet d’éviter ces ratés et de commencer à transformer la culture. Grâce à ce modèle, nous pouvons proposer un état d’esprit que nous envisageons d’adopter pour le futur. Nous pouvons aussi nous occuper des obstacles qui nous empêchent d’agir en conséquence. Nous pouvons enfin réfléchir aux comportements qui nous rapprochent ou nous éloignent de la culture désirée. Cela suppose de sortir de nos zones de confort individuelles. C’est ici que débute le dur labeur et échouent aussi la plupart des exercices de transformation culturelle. Cependant, une rétroaction et des réflexions authentiques feront des miracles pour changer la culture d’une entreprise si elles deviennent un réflexe organisationnel.
Le déploiement d’efforts de transformation nécessite l’engagement de tous au sein d’une entreprise. Grâce à cette collaboration générale naîtra la vision désirée de l’organisation future. Cet exercice exige une description de l’état d’esprit et des comportements désirés au sein de l’entreprise et un effort conjoint permettant d’aplanir les obstacles. Il importe aussi d’inviter tout le monde à apprendre à formuler et à recevoir des commentaires. Un avenir plus radieux s’offre à nous, n’est-ce pas?
Toutefois, pour vaincre les obstacles et le scepticisme auxquels les organisations sont confrontées, elles doivent impérativement prendre en compte les nouveaux facteurs cruciaux qui déterminent si une transformation se déroulera bien – ou mal.
La transformation de la culture d’une entreprise est un long processus. Les entreprises ont tendance à déclarer victoire trop rapidement – n’en faites rien, résister à la tentation. La gestion des attentes est capitale.
Il en va de même des croyances au sujet du changement. De nombreuses personnes pensent que ce sont les autres qui doivent changer et non elles. Il s’agit là de l’une des illusions les plus grandes à combattre et à vaincre au début du processus. L’invitation à changer véritablement doit concerner tout le monde dans l’organisation – pour le bien de chacun et de toute l’entreprise.
La manière dont les personnes répondent à ce défi représente probablement le facteur de réussite le plus crucial pour une transformation culturelle. Les employés observeront les responsables pour voir s’ils « allient le geste à la parole ». Si ces derniers ne fournissent pas l’effort requis pour changer, leurs employés ne le feront pas non plus. Si nous nous permettons de reprendre nos vieilles habitudes, nos efforts de transformation se relâcheront, et tout continuera comme avant.
Pour réussir, nous devrons sortir de nos zones de confort. La transformation culturelle est une entreprise laborieuse. Mais cela procure des avantages : faire l’effort de nous transformer nous permet de créer un meilleur environnement de travail et, ce faisant, de nous développer et de grandir en tant que personnes.
La transformation culturelle est le facteur le plus essentiel à prendre en considération par les organisations qui veulent se préparer pour l’avenir : il s’agit d’une démarche qui améliorera l’engagement, la productivité et la fidélité des employés. Cette transformation les aidera aussi à se préparer aux défis qui s’annoncent – par exemple, la durabilité, deuxième point à l’ordre du jour des entreprises. Si les organisations veulent durer réellement, elles doivent commencer par s’occuper de leur culture.
1 Mercer. Tendances mondiales en talents 2021.
2 Mercer. Sondages mondiaux sur la COVID-19.
3 Virgin Pulse. State of the Industry Report 2018.
4 Edgar H. Schein. Coming to a New Awareness of Organizational Culture, MIT Sloan Management Review, 15 janvier 1984.